Célibat sacerdotal : « CE QUE LES APOTRES ONT ENSEIGNE » 3

Publié le par monSeigneur et monDieu

Des origines à nos jours : les principales étapes du développement de la loi du célibat sacerdotal

 

A partir de ce centre, qui est à la fois un point de départ et un point de rayonnement, la chronologie des principales dates de l'histoire de la discipline du célibat sacerdotal peut être précisée de la façon suivante :

 

— Au 4ème siècle : Premiers documents législatifs qui, à notre connaissance, témoignent de l'existence d'une discipline de la continence parfaite pour les membres supérieurs du clergé. Ce sont, dans l'ordre :

- Le 33ème canon du concile d'Elvire, de date incertaine, mais généralement situé dans les toutes premières années du 4ème siècle ; ce concile espagnol n'a pas marqué un « tournant », comme on l'a trop souvent répété sans esprit critique à la suite de FUNK, mais atteste au contraire une tradition antérieure, ainsi que le remarquait encore le pape Pie XI dans l'encyclique Ad catholici sacerdotii. (80)

- Les trois décrétales Directa (Sirice, 386), Cum in unum (Sirice, 386) et Dominus inter (Sirice ou Damase), qui rappellent l'obligation de la loi, en garantissant par l'autorité de l'Eglise de Rome, « en qui, toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres », qu'il s'agit là d'une norme apostolique.

- Le 2ème canon du concile de Carthage de 390, qui affirme on ne peut plus explicitement : « ce qu'enseignèrent les Apôtres, et ce que l'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder ». Ce canon, renouvelé ensuite par tous les synodes africains, et notamment par le concile général de l'Eglise d'Afrique de mai 419, auquel participèrent 217 évêques, dont saint Augustin, joua un rôle, de premier plan dans l'histoire du célibat sacerdotal. Il servit de relais à plusieurs reprises pour vérifier, ou consolider, le lien traditionnel de la discipline avec « l’enseignement des Apôtres ». Les premiers à y recourir officiellement furent les Pères orientaux du concile Quinisexte in-Trullo de 691, dans le sens restrictif que nous avons vu. Au 11ème siècle, les promoteurs de la réforme grégorienne lui empruntèrent plus d'une fois un argument historique qu'ils jugent décisif. Saint Raymond Penafort, l'auteur des Décrétales de Grégoire IX, au 13ème siècle, se dit également convaincu, en particulier par le canon de Carthage, de l'origine apostolique du célibat. Au concile de Trente, les experts de la commission théologique chargée d'examiner les thèse luthériennes sur le mariage des clercs, s'y réfèrent. Pie IV, quant à lui, ne pense pas pouvoir mieux faire que de le citer, pour expliquer aux princes allemands son refus de renoncer à la loi du célibat. Par la suite, bien des théologiens et des historiens de la période post-tridentine et du « siècle des lumières » s'appuient sur ce texte comme sur un document majeur pour conclure à l'apostolicité de la discipliné du célibat sacerdotal (81). Et il n'est pas jusqu'à Pie XI, dans les temps modernes, qui, on l'a vu, n'y fasse allusion dans son encyclique sur le sacerdoce (82). Ce canon carthaginois, d'une grande importance pour l'histoire, est aussi remarquable pour la motivation théologique privilégiée qui fonde à ses yeux le devoir de la continence parfaite ; si les évêques, prêtres et diacres sont tenus à s'abstenir des relations conjugales, c'est « afin qu'ils puissent obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent à Dieu » (quo possint simpliciter quod a Deo postulant impetrare).

- En 691, le concile Quinisexte, dit in-Trullo. Ce concile tenu à Constantinople, qui est « le dernier mot de la discipline ecclésiastique pour l'Eglise grecque », est la première assemblée orientale, en communion avec Rome sur le plan doctrinal, à prendre des décisions en partie contraires à la discipline du célibat jusqu'alors en vigueur dans toute l'Eglise. En partie seulement, et ceci est important à souligner. Car on a parfois trop tendance à laisser dans l'ombre les nombreux points communs entre la discipline latine et la discipline d'Orient, pour accuser à gros traits ce qui les sépare. Aussi bien en Orient qu'en Occident, les évêques sont tenus à la continence parfaite, et les prêtres et diacres mariés avant leur ordination ne peuvent se remarier après le décès de leur femme. Le seul point de divergence, qui certes n'est pas négligeable, est l'autorisation reconnue à ces prêtres et diacres mariés de poursuivre les relations conjugales, à ceci près néanmoins qu'il leur est demandé une continence temporaire, les jours où ils se préparent à la célébration eucharistique. Ces dispositions canoniques sont étayées par des raisons théologico-scripturaires communes à toute la période patristique : la continence, parfaite ou temporaire, des ministres de l'autel est requise par leur fonction d'intercession, — le prêtre étant avec le Christ médiateur entre Dieu et les hommes —, et elle se rattache aux origines de l'Eglise. On s'étonne aujourd'hui de ce que les Eglises d'Orient aient conservé pour l'évêque l'obligation de la continence parfaite, et interdisent le remariage des prêtres et des diacres, alors qu'elles ne voient aucune difficulté à l'usage du mariage pour ceux-ci après l'ordination. D'aucuns, parmi les théologiens orientaux, y discernent une anomalie et préconisent des mesures visant à uniformiser la discipline en autorisant également l'admission d'hommes mariés à l'épiscopat, l'usage du mariage inconditionné pour tous les membres du clergé, et l'autorisation de se remarier en cas de veuvage (83). Ce n'est pas voir, je pense, que ce qui est présenté comme une anomalie est au contraire un organe témoin de ce qu'était la discipline générale au temps de l'Eglise indivise. Continence temporaire des prêtres et diacres, interdiction du remariage après l'ordination, célibat pour les évêques, toutes ces pratiques attestent chacune à sa manière que ce qui a précédé était une discipline de continence parfaite pour l'ensemble des membres supérieurs du clergé (84). Ainsi, plutôt que d'imaginer un processus de nivellement des lois orientales dans le sens d'une généralisation du mariage, il est vraisemblable que l'idéal du célibat sacerdotal, tenu en très haute estime par les Eglises d'Orient, fera sentir progressivement ses effets pour que la continence parfaite, de droit ou de fait, s'étende à un nombre plus grand de membres du clergé orthodoxe.

 

- En 1239, le deuxième concile du Latran met en quelque sorte le point final à la longue réforme grégorienne en déclarant invalide le mariage contracté après l'ordination. Voici le texte du décret : « Ut autem lex continentiae et Deo placens munditia in ecclesiasticis personis et sacris ordinibus dilatetur, statuimus quatenus episcopi presbyteri diaconi subdiaconi regulares canonici et monachi atque conversi professi, qui sanctum transgredientes propositum uxores sibi copulare praesumpserint, separentur. Huiusmodi namque copulationem, quam contra ecclesiasticam reffulam constat esse contractam, matrimonium non esse censemus. » (85) Il est difficile de lire dans ce décret autre chose que ce qui y est écrit. Il ne fait que confirmer, par une mesure canonique nouvelle, et qui s'avérera efficace, la discipline traditionnelle. La « lex continentiae », qui date de l'antiquité, reste la même. On se demande vraiment pourquoi certains continuent, aujourd'hui encore, à prétendre que la loi du célibat ecclésiastique a été inaugurée par ce concile du 13ème siècle !

 

- Au 16ème siècle, le concile de Trente restaura la discipline du célibat ecclésiastique qui avait été sérieusement ébranlée par le grand schisme d'Occident (1378-1417) puis par les Réformateurs, en prenant un certain nombre de décisions majeures qui devaient configurer pour les siècles futurs la physionomie du sacerdoce (86). La plus importante fut sans doute l'institution des séminaires, qui assura le recrutement et la formation de jeunes célibataires. Il devint par voie de conséquence moins nécessaire de faire appel à des hommes mariés pour le sacerdoce. Un retournement considérable par rapport à ce qui avait été la situation du clergé au premier millénaire et jusqu'à l'époque même du concile de Trente, s'opéra dans l'Eglise postconciliaire. Le clergé célibataire devint la règle, et le clergé marié (tenu à la continence parfaite) l'exception.

D'autres mesures contribuèrent fortement au succès de la réforme tridentine concernant le célibat, en particulier la restauration du ministère épiscopal et l'insistance sur les responsabilités pastorales du prêtre, celui-ci n'étant pas seulement ministre du culte, mais « l'exemple vivant » proposé à l'imitation du peuple de Dieu (87).

 

- Par la suite, la discipline du célibat sacerdotal dans l'Eglise latine resta telle que le concile de Trente l'avait définie. Les crises successives qui la mirent à l'épreuve aux siècles suivants, notamment la Révolution française, les violentes attaques du « siècle des lumières », et la crise moderniste, ne réussirent pas à la faire abolir, ni à la modifier. Pour mémoire, il suffit d'énumérer ici la suite des principaux documents du Magistère qui traitèrent la question jusqu'à Vatican II :

 

— A l'époque moderne :

 

Documents de Pie X (1903-1914) :

 

- 4 août 1908 : exhortation apostolique Haerent Animo au clergé catholique sur la sainteté sacerdotale. (88)

 

Documents de Benoît XV (1914-1922) :

 

- 1917 : Codex Juris Canonici. Canons 132 et 1072. (89)

- 29 janvier 1920 : Lettre au P. François Kordac, archevêque de Prague : « Le Siège apostolique...n'approuvera jamais une abrogation ou une mitigation de la loi du célibat, dont l'Eglise latine se glorifie comme d'un ornement insigne. » (90)

- 16 décembre 1920 : Allocution au Consistoire. Benoît XV approuve la dissolution de l'association sacerdotale Iednota, dont beaucoup de membres militaient pour l'abolition du célibat : « Si l'Eglise latine est vigoureuse et florissante, elle doit en grande partie sa force et sa gloire au célibat des clercs, qui pour cette raison doit être conservé dans son intégrité », le pape cite la lettre de Sirice à Himérius de Tarragone, et affirme « solennellement », que « le Siège Apostolique ne mitigera jamais la loi très sainte et très salutaire du célibat ecclésiastiquet.et moins encore ne l'abolira. » (91)

 

Documents de Pie XI (1922-1939) :

 

- 20 décembre 1935 : Encyclique Ad catholici sacerdotii. Pour la première fois, on sent dans un document pontifical le souci de situer la discipline de l'Eglise latine face à celle de l'Eglise d'Orient. Le pape cite St Epiphane, St Ephrem, St Jean Chrysostome, qui témoignent tous de « l'excellence du célibat catholique », et il n'hésite pas à écrire que « en cette matière également l'harmonie régnait à cette époque entre l'Eglise latine et l'Eglise orientale là où on se conformait à une stricte discipline. » (92) Ainsi, les Pères de l'Eglise orientale eux-mêmes garantissent les raisons du célibat sacerdotal et l'opportunité de la loi. Néanmoins, conclut le pontife, « nous ne voulons pas que ce que nous avons dit pour recommander le célibat, soit interprété comme s'il était dans notre intention de blâmer ou de désapprouver en quelque manière la discipline différente qui est légitimement en vigueur dans l'Eglise orientale. » (93)

Deux autres points sont à remarquer : une référence au concile d'Elvire, lequel « ne fait rien d'autre que donner force et s'ajouter à une certaine exigence, pour ainsi dire, qui tire son origine de l'Evangile et de la prédication des Apôtres. » Puis la citation du concile de Carthage de 390 : « ut quod Apostoli docuerunt, et ipsa servavit antiquitas, nos quoque custodiam us. » (94)

Tout ce passage de l'encyclique, rédigé avec un soin extrême par l'ex-préfet de la Bibliothèque Apostolique Vaticane qu'était Pie XI, montre bien sa perspective : la loi du célibat dans l'Eglise latine, formulée pour la première fois au 4ème siècle, a une préhistoire ; elle remonte aux Apôtres et au Christ lui-même, dont l'exemple et l'estime pour la chasteté ont incité les ministres de la Nouvelle Alliance à « s'imposer spontanément la soumission respectueuse à ce mode de vie », ce qui serait ensuite sanctionne par une loi ecclésiastique. Le témoignage des Pères grecs et syriens va dans le même sens, bien qu'il ne soit pas question de critiquer la discipline « légitime » de l'Eglise orientale. (95)

 

Documents de Pie XII (1939-1958) :

 

- 23 septembre 1950 : Exhortation apostolique Menti Nostrae, sur la sainteté de la vie sacerdotale. A l'instar de son prédécesseur, Pie XII fait dériver l'obligation du célibat de « l'excellente dignité du sacerdoce », qui fait du prêtre un « alter Christus. » (96)

- 25 mars 1954 : encyclique Sacra Virginitas, sur la virginité consacrée. L'exemple du Christ vierge est la raison suprême qui fonde la virginité consacrée, ainsi que la chasteté parfaite du prêtre. En imposant à ses prêtres le célibat, l'Eglise leur permet d'accéder au plus haut degré de liberté spirituelle et de charité, pour se donner entièrement à Dieu et au service du prochain. Même dans les Eglises Orientales, comme le rappelait Pie XI, le célibat est en honneur et les évêques y sont tenus par une loi. L'offrande quotidienne du sacrifice eucharistique, ajoute encore l'encyclique, est aussi une raison essentielle qui justifie le célibat. Enfin, celui-ci ne prive pas le prêtre d'une paternité, il lui donne au contraire d'engendrer à la vie éternelle et par là de vivre une paternité immensément supérieure à la première. (97)

 

Documents de Jean XXIII (1958-1963) :

 

- 1 août 1959 : Encyclique Sacerdotii Nostri primordia, sur saint Jean-Marie Vianney. La chasteté parfaite, qui est « l'ornement le plus excellent de notre Ordre », ne replie pas le prêtre sur lui-même, mais lui fait aimer les autres avec l'amour même de Dieu. (98)

- 26 janvier 1960 : Allocution au synode romain. Jean XXIII fait allusion à des défections retentissantes et à des critiques contre la loi du célibat : « Ce qui nous afflige particulièrement c'est de voir...certains se laisser aller à des chimères (allucinationi cuidam indulgentes), et s'imaginer que l'Eglise catholique a l'intention ou estime opportun de renoncer à la loi du célibat ecclésiastique, qui a été au cours des siècles et reste toujours l'ornement splendide et éclatant du sacerdoce. A n'en pas douter, la loi du célibat sacré et les soins à dépenser pour la faire observer soigneusement, sont toujours un rappel des luttes mémorables, et glorieuses de ces époques, où l'Eglise de Dieu fut appelée à de rudes combats et a remporté un triple triomphe : car c'est un signe de la victoire de l'Eglise du Christ que de lutter pour qu'elle soit libre, chaste et universelle. » (99)

 

De Vatican II à nos jours, les documents du Magistère sur le célibat sacerdotal se sont multipliés. La crise postconciliaire, pour les raisons évoquées au début de cet article, a été l'occasion d'une nouvelle réflexion ecclésiale qui a finalement abouti à l'exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis du 25 mars 1992.

 

- Le Concile Vatican II (1962-1965) : Il est question formellement du célibat sacerdotal dans deux documents du Concile :

- Le décret Optatam totius Ecclesiae renovationem, sur la formation sacerdotale (28 oct. 1965). Il est demandé que « les séminaristes qui, selon les lois saintes et fermes de leur rite propre, observent la tradition vénérable du célibat sacerdotal, soient formés avec un soin diligent à cet état. » Suivent un bref énoncé des raisons théologiques justifiant le célibat, l'affirmation de la supériorité de la virginité consacrée et le rappel des « secours humains et divins appropriés » qui aident à assumer le célibat dans la joie et la maturité. (100)

- Le décret Presbyterorum ordinis, sur le ministère et la vie des prêtres (7 déc. 1965). Justement appelé la « charte sacerdotale du concile » ce texte est l'aboutissement de longues discussions qui s'échelonnèrent sur plus de deux ans. Il s'articule en trois paragraphes :

1) La continence parfaite et perpétuelle pour le royaume des cieux, recommandée par le Seigneur, et tenue en haute estime par l'Eglise, n'est pas exigée par la nature du sacerdoce. C'est ce que montrent « la pratique de l'Eglise primitive et la tradition des Eglises orientales. » Le concile « n'entend aucunement modifier la discipline différente qui est légitimement en vigueur dans les Eglises orientales. »

2) Mais le célibat « a de multiples convenances avec le sacerdoce. » (multimodam  convenientiam cum sacerdotio habet) Le concile expose ici les motivations ecclésiologiques, christologiques et eschatologiques qui seront longuement développées en 1967 par Paul VI  dans l’encyclique  Sacerdotalis coelibatus.

3) D’où la loi en vigueur dans l'Eglise latine, et que confirme à nouveau le concile : « C'est donc pour des motifs fondés sur le mystère du Christ et sa mission, que le célibat, d'abord recommandé aux prêtres, a été ensuite imposé par une loi dans l'Eglise latine à tous ceux qui se présentent aux Ordres sacrés. »

 

Si les raisons théologiques justifiant le célibat sacerdotal sont explicitées avec beaucoup de force et de clarté, l'argument historique, en revanche, n'est traité que sommairement. On peut, à ce propos, faire les remarques suivantes :

- En évoquant « la pratique de l'Eglise primitive et la tradition des Eglises orientales », le concile se montre avant tout soucieux, comme l'avait été Pie XI, de favoriser l’œcuménisme avec les communautés ecclésiales d'Orient, dans l'esprit même des deux décrets Unitatis redintegratio et Orientalium ecclesiarum votés l'année précédente. (101) Il reconnaît l'existence d'un clergé marié dès les temps apostoliques, — comme l'indique la référence à 1 Tm 3, 2-5 et Tt 1, 6 —, mais ne se prononce pas sur la question de la continence qui pouvait avoir été exigée des hommes mariés à partir de l'ordination. Il n'est fait non plus aucune allusion à la continence temporaire des prêtres mariés prévue par la législation orientale.

- Le célibat envisagé dans le document conciliaire est celui d'hommes n'ayant jamais été mariés, comme il ressort clairement, à propos du clergé oriental, de la distinction entre « les prêtres qui choisissent, par don de la grâce, de garder le célibat — ce que font les évêques » —... et les « prêtres mariés dont le mérite est grand. » Dans ces conditions, en disant plus loin que « le célibat, d'abord recommandé aux prêtres, à été ensuite imposé par une loi dans l'Eglise latine à tous ceux qui se présentent aux Ordres sacrés », les Pères laissent de côté la question soulevée par les documents pontificaux et les textes conciliaires des premiers siècles sur l'origine apostolique de la loi du « célibat-continence. » Cela ressort également du fait que « cette législation, ce saint Concile l'approuve et la confirme à nouveau... », car ce qui est approuvé et confirmé aujourd'hui n'est autre que le célibat au sens strict, et non une loi de célibat-continence telle qu'on la connaissait jadis. (102)

- Reprenant à peu de chose près les termes de l'encyclique Ad catholici sacerdotii, les Pères tiennent à affirmer qu'ils n'entendent « aucunement modifier la discipline différente qui est légitimement en vigueur dans les Eglises orientales. » Comme chez Pie XI, l'adverbe « légitime » employé ici fait référence à la législation particulière des Eglises orientales, sans précision, et ne saurait être interprété comme une reconnaissance de l'antériorité de leur discipline par rapport à celle de l'Eglise latine.

 

- 24 juin 1967 : encyclique Sacerdotalis coelibatus.

 

Paul VI tient la promesse faite aux Pères du concile deux ans plus tôt. Reconnaissant qu’ « à notre époque caractérisée par une transformation profonde des mentalités et des structures... s'est fait jour entre autres choses la tendance, voire la nette volonté, de presser l'Eglise de remettre en question (le célibat sacré) », le pape examine loyalement les objections soulevées, et expose les raisons théologiques, historiques, spirituelles et autres qui motivent aujourd'hui encore le maintien de la discipline. Nous pouvons souligner ici la continuité profonde de l'encyclique avec la tradition des origines.

Le célibat dont parle le document pontifical est le célibat au sens strict. (103) L'idée qu'une loi de continence parfaite pouvait avoir été en vigueur aux origines de l'Eglise pour les clercs des Ordres supérieurs engagés dans les liens du mariage, est absente des perspectives de l'encyclique.

Paul VI consacre à l'histoire du célibat ecclésiastique dans l'antiquité un assez long, paragraphe, mais, comme il le dit lui-même, ce ne sont que de « brèves indications », invitant à la recherche. (104) Or, certains des écrivains patristiques, comme saint Jérôme et Epiphane, auxquels renvoie le texte pour attester « la diffusion qu'avait prise chez les ministres sacrés, tant en Orient qu'en Occident, la pratique librement assumée du célibat », sont en réalité des témoins d'une discipline générale du « célibat-continence » remontant à la naissance même de l'Eglise. Par ailleurs, il n'est pas fait référence dans le document aux importantes décrétales du pape Sirice, qui interprète 1'Unius uxoris vir des épîtres pauliniennes non dans le sens d'un droit à user du mariage après l'ordination, mais comme un règlement propter continentiam futuram, établissant par là que la loi du « célibat-continence » a son fondement dans l'Ecriture.

La documentation utilisée par l'encyclique fournissait, pensons-nous, une base solide pour prouver que la pratique du « célibat au sens strict » avait été d'abord librement assumée par un bon nombre de clercs, puis renforcée et développée par l'autorité ecclésiastique à partir du 4ème siècle, avant d'être ensuite « solennellement sanctionnée par le Concile de Trente et finalement insérée dans le Code de droit canonique » (105) ; mais une base historique plus large et plus critique eût sans doute permis de mettre en évidence la loi du « célibat-continence », et de la rattacher aux temps apostoliques. (106)

 

Ce faisant, l'histoire eût aussi manifesté son accord profond avec la théologie du sacerdoce développée par l'encyclique. En effet, « le sacerdoce chrétien, gui est nouveau, ne se comprend qu'à la lumière de la nouveauté du Christ, Pontife suprême et Prêtre éternel, qui a institué le sacerdoce ministériel comme une participation réelle à son sacerdoce unique. » Or, le Christ Médiateur et Prêtre éternel, « est resté durant toute sa vie dans l'état de virginité, qui signifie son dévouement total au service de Dieu et des hommes. » Le lien entre sacerdoce et virginité dans le Christ « se reflète » donc dans les prêtres, qui participent à Sa mission de médiateur et de prêtre éternel. C'est pourquoi, continue l'encyclique, « Jésus, qui choisit les premiers ministres du salut, qui les voulut initiés à l'intelligence des mystères du royaume des cieux... qui les appela ses amis et frères... a promis une récompense surabondante à quiconque aura abandonné maison, famille, épouse et enfants pour le royaume de Dieu... »

 

On ne peut s'empêcher de penser qu'en écrivant ces lignes d'une grande portée théologique, Paul VI a voulu nettement suggérer ce que l'histoire des premiers siècles qui lui servait alors de fil conducteur ne lui permettait pas d'affirmer avec certitude, à savoir que les apôtres, ces premiers « amis et frères » du Christ, remplis de l'Esprit-Saint au jour de la Pentecôte, ont été aussi les premiers à avoir l'intelligence de ce grand mystère de la nouveauté du sacerdoce du Christ et du lien qu'il impliquait avec la chasteté parfaite. Car, s'il est vrai que l'exigence de l'amour propre au sacerdoce ministériel pousse à « participer non seulement à (la) fonction sacerdotale (du Christ), mais à partager également avec lui l'état de vie qui est le sien », peut-on penser un instant que les premiers dépositaires de l'Esprit du Christ, les apôtres, aient été si lents à comprendre que ceux d'entre eux qui pouvaient avoir été mariés n'aient pas tout quitté, y compris leur épouse, pour répondre à l'appel du Maître ? N'ont-ils pas été les premiers à être « totalement et exclusivement appliqués aux affaires de Dieu et de l'Eglise comme le Christ ? » En mettant l'accent sur les fondements christologiques du célibat, l'encyclique de Paul VI vient à la rencontre de l'histoire, et confirme à sa manière ce que l'étude des documents des premiers siècles nous apprend sur les origines du « célibat-continence. »

 

Notons encore le passage sur la législation orientale, qui se réfère de façon précise au concile in Trullo de 691. (107) Pour la première fois dans l'histoire, un document pontifical identifie positivement les sources du droit canonique des Eglises d'Orient. Pas plus que Pie XI, ou les Pères de Vatican II, l'encyclique ne se prononce cependant sur la question des origines de cette législation particulière du droit byzantin ni ne la fait remonter aux temps apostoliques.

 

- Septembre-novembre 1971 : Deuxième Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, sur « le sacerdoce ministériel » et « la justice dans le monde. »

Six ans après la fin du concile, les évêques réunis en synode à Rome mettent à nouveau à l'ordre du jour le célibat sacerdotal. Ni le décret Presbyterorum Ordinis, ni l'encyclique Sacerdotalis caelibatus n'ont mis en effet un terme aux questions que beaucoup continuent à se poser sur l'opportunité de la loi en vigueur dans l'Eglise latine, ou sur les possibilités d'adaptation. Le concile lui-même, comme le dira Paul VI aux Pères synodaux, en préconisant heureusement une plus grande ouverture au monde, a du même coup fait naître de nouvelles difficultés pour les prêtres, qui se veulent désormais plus proches du peuple de Dieu. (108)

Des interventions faites au Synode, se dégagent surtout deux sujets de discussion : d'une part on constate que l'affinité entre le sacerdoce et le célibat fait l'objet d'une contestation, chez les catholiques eux-mêmes, certains réclamant qu'on n'étende pas l'obligation du célibat à tous ceux qui aspirent au sacerdoce ; d'autre part, différents épiscopats, notamment ceux de Hollande, du Canada et de Belgique, demandent expressément qu'on autorise l'ordination d'hommes mariés.

 

Le consensus général fut-pour le maintien du célibat. (109) Approuvées et confirmées par Paul VI, les conclusions du synode furent publiées par un rescrit du 30 novembre 197l. (110) On y retrouve les grandes idées du concile et de l'encyclique Sacerdotalis caelibatus. A noter toutefois la brièveté de la référence à la discipline des Eglises orientales (111) ; le document du Synode parle de « traditions », et non plus de « législation » de ces Eglises, sans qu'on puisse assurer toutefois qu'il y ait là une intention spéciale. Cette fois encore, rien n'est dit de l'ancienneté de ces traditions par rapport à la discipline de l'Eglise latine.

 

- 25 janvier 1983 : Code de Droit canonique.

Le nouveau Code de droit canonique, qui est, selon le mot de Jean-Paul II, le "Code du Concile", fixe la législation sur le célibat dans l'Eglise latine selon les normes et l'esprit de Vatican II et des documents officiels postérieurs. (112)

1
990-1991 : Code des canons des Eglises orientales.


C'est le premier code de droit canonique à l'usage des Eglises orientales catholiques dans toute l'histoire de l'Eglise. (113) Le pape Jean-Paul II souligne que ce code s'inspire d'une sincère attitude œcuménique propre à favoriser les voies de l'unité avec les « Eglises-sœurs » orthodoxes, déjà « presque en totale communion » avec l'Eglise romaine. (114)

 

- Octobre 1990 : Huitième Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, sur « la formation des prêtres dans les circonstances actuelles. »

Depuis Vatican II, de nombreux documents pontificaux ou épiscopaux ont été consacrés au sacerdoce, mais la crise qui continue d'affecter le clergé appelle un supplément de réflexion sur la formation sacerdotale dans le monde moderne. Sans être le sujet principal de discussion, le célibat ecclésiastique fait au synode l'objet de maintes interventions.

Beaucoup de rapporteurs font part du désir exprimé par leurs groupes de voir l'Assemblée réaffirmer la valeur du célibat sacerdotal dans l'Eglise latine, à l'aide d'un langage plus positif : il s'agit d'un charisme, d'une manière de se conformer plus complètement, à Jésus, et d'un signe prophétique contrastant fièrement avec la permissivité sexuelle de notre époque. Une minorité d'évoques font remarquer de leur côté que le célibat n'est pas toujours apprécié pour ce qu'il entend représenter par la culture locale, ou encore que la pénurie dramatique de prêtres dans certaines régions devrait faire reconsidérer le problème.

Les 41 « propositions », ou « recommandations », votées à une très forte majorité et soumises à la fin du Synode à Jean-Paul II furent réservées au Souverain Pontife et aux membres de l'Assemblée épiscopale. On sait toutefois qu'elles comportaient une nette réaffirmation du célibat sacerdotal dans l'Eglise latine, les évêques demandant au Saint-Père de confirmer à nouveau la discipline et de la présenter aux candidats à la prêtrise « dans toute la splendeur de son contenu biblique, théologique et pastoral. » Jean-Paul fera droit à cette requête en 1992, par la publication de l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis, qui peut être considérée comme l'aboutissement réel de ce Synode auquel le pape a voulu attacher une importance toute particulière en assistant personnellement à toutes les séances générales. Au sujet de l'ordination d'hommes mariés, le Souverain Pontife a tenu à préciser ce qui suit :

« On ne peut prendre cette solution en considération. Il faut répondre à ce problème par d'autres moyens. On le sait, la possibilité de faire appel à des viri probati est trop souvent évoquée dans le cadre d'une propagande systématique hostile au célibat sacerdotal. Cette propagande trouve le soutien et la complicité de certains moyens de communication sociale. »

 

- 25 mars 1992 : Exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis.

Cette « Magna Charta » de la théologie du sacerdoce, comme on l'a surnommée, se situe dans la continuité des documents du concile Vatican II sur le sacerdoce et la formation des prêtres, et tout particulièrement des travaux du Synode des évêques d'octobre 1990. Le pape y reprend l'ensemble des réflexions et des orientations synodales pour élaborer une oeuvre collégiale en réponse à la question fondamentale : « comment former des prêtres qui soient vraiment à la hauteur des circonstances actuelles, capables d'évangéliser le monde d'aujourd'hui. » (115)

En manifestant le « lien ontologique qui unit le prêtre au Christ, Prêtre Suprême et Bon Pasteur », le synode a comme redécouvert la profondeur de l'identité sacerdotale. Une juste théologie du sacerdoce est en effet la clé de la formation des prêtres, par la mise en lumière de la nature du sacrement de l'Ordre qui « configure (le ministre) au Christ Tête et Pasteur, Serviteur et Epoux de l'Eglise. » Donné tout entier par l'Eglise au Christ, et par le Christ à l'Eglise, le prêtre assume librement ce don par la « charité pastorale » qui lui fait continuer au milieu des hommes la vie et l'action du Christ lui-même, Epoux de l'Eglise, avec qui, sacramentellement, il ne fait qu'un.

Dans ce contexte, le célibat apparaît comme une exigence de radicalisme évangélique favorisant de manière spéciale le mode de vie « sponsal » qui découle logiquement de la configuration du prêtre à Jésus-Christ par le sacrement de l'Ordre.

Les crises traversées au cours des siècles, la souffrance causée par les défections, mais aussi le fait historique fondamental de fidélités sans nombre, tout comme la constance inébranlable de la hiérarchie dans le maintien d'une discipline qui fait l'honneur de l'Epouse du Christ, donnent à ce texte d'une grande richesse théologique un ton d'une sereine et intense gravité. On y entend la voix de Pierre, par son successeur sur le Siège apostolique, réaffirmer avec assurance, après deux mille ans, la valeur de la continence parfaite pour le sacerdoce catholique.

 

- 22 mars 1994 : Directoire pour le ministère et la vie des prêtres.

Cet important document publié par la Congrégation pour le Clergé est le dernier en date des actes du Magistère de l'Eglise sur le sacerdoce. Un long chapitre y est consacré au célibat sacerdotal. Toutes les considérations développées dans Pastores dabo vobis sont reprises dans une sorte de résumé-synthèse : ferme volonté de l'Eglise pour le maintien de la loi ; motifs théologiques et spirituels du célibat ; examen des difficultés et réponse aux objections. On remarquera le passage sur la tradition venue des Apôtres :

 « Le Seigneur donne ici l'exemple, lui qui, allant à contre-courant de ce que l'on peut considérer comme la culture dominante de son temps, a choisi librement de vivre le célibat. A sa suite, les disciples ont "tout" laissé pour accomplir leur mission (Lc 18, 28-30).

Pour cette raison, l'Eglise, depuis l'époque apostolique, a voulu conserver le don de la continence perpétuelle des clercs, et s'est orientée vers la solution de choisir les candidats à l'Ordre sacré parmi les célibataires (cf. 2 Th 2, 15 ; 1 Co 7, 5 ; 9, 5 ; 1 Tm 3, 2-12 ; 5, 9 ; Tt 1, 6-8). » (116)

Publié dans Religion

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