Mémoires d'un Anti-Apôtre : E.S. 1025 - MARIE CARRÉ - N5
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CHAPITRE XI
OÙ LE TRAVAIL DESTRUCTEUR SEMBLE FAIRE DE GRANDS PROGRÈS
TOUT EN SE HEURTANT À DES OBSTACLES RIDICULEMENT PUÉRILS
À cette époque, je fis preuve d’une grande énergie pour détruire le culte marial. J’insistai beaucoup sur la peine que les catholiques et les orthodoxes font aux protestants en perpétuant leurs multiples dévotions à la Vierge Marie.
Je fis remarquer combien les chers frères séparés étaient plus logiques et plus sages. Cette créature humaine dont nous ne savons presque rien devient, chez nous, en quelque sorte, plus puissante que Dieu (ou, à tout le moins, plus gentille).
En l’occurrence, je pris la défense des droits de Dieu avec beaucoup d’amusement.
Je mis en vedette le fait que beaucoup de protestants croient que Marie eut d’autres enfants après Jésus. Croient-ils à la virginité pour la naissance de ce premier enfant ? Cela est difficile à dire. Du reste, en tout, il est difficile de déterminer les croyances exactes de ces différents christianismes. En fait, chacun croit ce qu’il veut. Cependant, il est relativement facile de savoir ce qu’ils détestent.
Je préconisai donc la suppression du chapelet et des nombreux jours de fête réservés à Marie. Mon livre de messe en comptait vingt-cinq. On peut y ajouter certaines fêtes régionales. Sans parler de la destruction totale des médailles, images et statues. Beaucoup de travail en perspective, mais qui en valait la peine.
Cependant, je ne voyais pas comment je pourrais supprimer Lourdes... et Fatima... et quelques autres lieux de moindre importance. Pour Lourdes, c’est terriblement ennuyeux. C’est là une plaie ouverte dans le cœur des protestants. Jamais l’Église universelle ne pourrait solidement s’implanter tant que ce lieu de pèlerinage drainerait quelques millions d’individus de toutes races, tous les ans.
Je fis faire une étude spéciale du phénomène Lourdes, mais ce long travail ne me servit pas à grand chose. Tout juste puis-je faire ressortir qu’il y avait une assez sérieuse différence entre les témoignages primitifs. L’un parlait de Bernadette évanouie et poursuivie par l’apparition jusqu’au lieu où elle se reposait, un moulin si ma mémoire est bonne. L’autre niait ce fait. L’enfant elle-même ne le reconnaissait pas. On pouvait dire qu’elle avait oublié, mais cela ne faisait pas très sérieux. Je déteste une propagande qui reposerait sur des mensonges. Je sais très bien que le mensonge est permis par le Parti, quand un plus grand est en jeu, mais pour ma part, je préfère la dignité. Je me sens plus fort. Je sens même que je dépasse ceux de mon parti qui ont usé du mensonge. Je crois qu’il est toujours possible de s’en tirer en ne jouant qu’avec la vérité. Il suffit de savoir interpréter l’aspect utile de chaque vérité. Ainsi, je peux dire que ma mission s’articulait entièrement sur cet ordre du Christ : « Aimez-vous les uns les autres ». Simplement, je dirigeais les regards charitables de toute l’Église sur les chrétientés dites hérétiques. En m’écoutant ils désobéissaient aux Apôtres, mais n’en avaient généralement pas connaissance.
Une autre difficulté est que pour détrôner Marie, il aurait fallu supprimer Noël. Or Noël est devenu une fête de la joie même pour les incroyants. Ces gens-là ne sauraient même pas expliquer pourquoi, ni comment. Il faut seulement constater que la paix et la joie sont des biens très désirables.
Du reste, il est consolant de remarquer que si Jésus de Nazareth n’est pas Fils de Dieu, sa mère n’a plus aucune importance. Il n’est même plus la peine de connaître son nom. Et pour qui voudrait continuer d’admirer, avec juste raison, la plus grande partie de l’enseignement moral de Jésus (celui que je taxe de révolutionnaire), il devient ridicule de vénérer l’enfance du dit Jésus. Qu’est-ce que ce petit bébé qui est né dans une étable ?
Qu’est-ce que ça change ?
Il est à remarquer que si les chrétiens protestants ne croient généralement pas à la naissance virginale du prophète Jésus, sept cents millions de musulmans ont adopté ce dogme par l’intermédiaire de leur Coran. Ce qui, soit dit en passant, oblige la moitié de l’humanité à vénérer cette jeune femme... Vraiment très curieux...
Cependant, le plus curieux reste que les musulmans n’acceptent Jésus de Nazareth que comme prophète, et prophète moindre que leur Mahomet, né pourtant, lui, de façon tout à fait normale. La bizarrerie humaine n’a pas de limite.
Mais tout ceci renforce ma conviction que nier la virginité de Marie est le plus sûr moyen de transformer les chrétiens en disciples d’un homme, qui ne serait pas Dieu du tout. Qui ne voit combien il est utile, avant de tuer Dieu, de tuer Jésus de Nazareth ? Les évangiles et les épîtres, enfin tout le Nouveau Testament, deviennent parole d’homme et, bien entendu, chacun peut alors y prendre ce qu’il veut, critiquer ce qui ne lui plaît pas et nier ce qui est exagéré... Ce qu’il fallait obtenir...(1)
Si, en Orient, les icônes représentent la principale dévotion à Marie et sont aujourd’hui, dans toute la Russie, cachées ou détruites, en Occident le chapelet est très populaire. Cette dévotion qui fait profession d’honorer quinze soi-disant mystères est à détruire avec énergie. Elle serait capable à elle toute seule de maintenir et propager la foi en un Dieu trine. Comme pour tout le reste, il sera nécessaire de donner mauvaise conscience à ceux qui usent du chapelet.
Tel est le résumé des ordres que j’envoyai dans le monde entier à l’époque où, dans ma chambre de séminariste, j’avais suspendu au portrait de celle que je ne pourrais jamais épouser la médaille dite miraculeuse. Chacun aurait pu penser que je demandais un miracle alors que je voulais me fortifier dans ma haine qui, cependant, n’était pas petite.
Le samedi suivant, les cheveux noirs ne purent pas me recevoir ; ils étaient justement partis pour un pèlerinage marial. Ma rage n’égalait que mon hilarité, car sûrement c’était pour ma conversion que la pauvre petite se donnait tout ce mal.
J’allai cultiver ma voix que j’avais bien délaissée ces dernières semaines. Mon ami Achille en fut tout réjoui. Je ne pus m’empêcher de lui raconter toute l’histoire de la Médaille.
Je fus abasourdi par sa réponse. Il me dit : « Attention, tout ce qu’on dit sur cette Médaille est vrai. Si vous l’avez dans votre chambre, vous êtes en danger ». Je lui demandai s’il avait la fièvre. Il prétendit que non, mais que la seule vue de cette Médaille le rendrait malade et qu’il n’en supporterait jamais la présence sans devenir fou.
Le cœur humain est un gouffre incompréhensible. Que mon vieux professeur, ardent communiste, pût tenir de tels propos m’inquiéta grandement. Pour la première fois de ma vie, je doutai de la réussite de ma mission. J’en fus affreusement malheureux et je mesurai alors que ce travail était mon unique raison de vivre, mon unique amour. Je le savais théoriquement, en ce jour je l’appris dans la souffrance de mon esprit révolté par la stupidité du cœur de l’homme.
Je voulus discuter, mais en vain. Achille me répondit : « Je ne crois à rien, ni à Dieu, ni à diable, encore moins à la Vierge Marie, mais j’ai peur de cette Médaille, c’est tout. » « Enfin, croyez-vous qu’elle puisse vous convertir ? » hurlais-je en le secouant par les épaules. Il me dit : – « Bien sûr que non, j’ai peur, c’est tout. » – « Mais ne voyez-vous pas la stupidité de cette peur ? Ne voyez-vous pas qu’il serait honorable pour vous de vaincre cette peur enfantine en plaçant la médaille bien en évidence dans votre maison ?... ». Il ne répondit pas, j’insistai. Avec lassitude, il me dit : – « Parlons d’autre chose. » – « Non, j’irai jusqu’au bout de ce problème, car c’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu dans ce que vous croyez être seulement une puérilité. Que deviendront les communistes si, comme vous, ils restent secrètement terrorisés par une icône ou une médaille ? Que deviendront ils ? réfléchissez... »
Il ne voulait pas réfléchir. C’était donc à moi de le faire pour lui. Car à moi, il sera toujours impossible de rester passif devant une défaite. Toute difficulté m’excite et m’est bénéfique.
Devant son obstination, je partis en claquant la porte, mais je savais très bien ce que j’allais faire.
Le samedi suivant, avant d’aller retrouver les cheveux noirs, je passai chez Achille avec un marteau, un clou, la médaille et sa chaîne.
Sans lui permettre de discuter, j’allai dans sa chambre à coucher, je plantai le clou au-dessus de son lit, à la place où se trouve souvent le crucifix, et j’y pendis la médaille miraculeuse.
Le samedi suivant, Achille avait déménagé et je ne sus jamais ce qu’il était devenu.
Cette disparition fut une grosse gêne pour mes activités, du moins jusqu’à ce qu’Achille pût être remplacé.
En partant, il m’avait renvoyé la médaille, ainsi que la clef de la boîte postale.
CHAPITRE XII
OÙ IL EST QUESTION DU CATÉCHISME DE L’AN 2000 ET D’UN ÉTUDIANT PAUVRE MAIS ZÉLÉ
Cette année-là, je travaillai avec ardeur à la composition d’un nouveau catéchisme qui pourrait convenir à l’Église universelle, telle que je voulais la voir s’établir dans le monde entier.
Façonner l’esprit des jeunes enfants est une nécessité vitale pour toute doctrine qui se respecte. Enseigner l’athéisme dès l’enfance est important car le mystérieux des doctrines religieuses laisse une certaine nostalgie, sauf chez les êtres vraiment supérieurs dont je suis. Mais ce ne serait pas honnête de ma part de nier que bien des athées ne sont pas tout à fait francs avec eux-mêmes. Personne n’aime s’avouer ses faiblesses, c’est bien pourquoi il faut s’arranger pour ne l’être jamais. En plus, les forts doivent donner aux faibles, qui sont la majorité, un encadrement solide qui les empêche de trébucher.
Face aux doctrines religieuses, il est sage de considérer chaque homme comme un handicapé, du moins au vingtième siècle finissant. Il est tout à fait raisonnable d’espérer la guérison pour l’an 2000.
Un certain nombre de mots sont à bannir définitivement du vocabulaire humain et la meilleure méthode est de s’assurer que les enfants n’entendront jamais ces mots-là. C’est pourquoi il est beaucoup plus utile de composer un nouveau catéchisme que d’espérer une simple suppression de tout enseignement religieux. Non, ceci ne sera possible que dans deux ou trois générations. Pour le moment, il faut jouer avec le phénomène « Église » = Assemblée de frères amis du monde entier. Ce catéchisme sera donc celui de cette amitié qui remplacera l’antique charité chrétienne. Le mot « charité » est à bannir absolument et devra être remplacé par le mot amour" qui permet de garder les pieds sur terre et même de jouer, sans en avoir l’air, à toutes sortes de jeux ambigus.
Je dois dire que j’ai toujours et continue d’avoir un grand respect pour la puissance sous-jacente et même souterraine des jeux d’ambiguïté, quand ils sont entre des mains dignes d’eux.
Pendant que je préparais ce nouveau catéchisme, je notais tout ce qui doit être graduellement modifié ou supprimé dans l’enseignement actuel. Et j’avais le brûlant désir de faire partager mes convictions aux cheveux noirs.
Ce fut elle qui me facilita les choses en me décrivant son pèlerinage et les soi-disant « miracles accomplis » par la Sainte Vierge Marie.
Je lui expliquai que tous ces phénomènes religieux, quels qu’ils fussent, étaient le fruit de sa propre création. Elle nia avec véhémence. Je lui dis : – « Tout ce que vous ne pouvez ni voir, ni sentir, est le résultat de votre création et je ne vois pas pourquoi cela vous fâche. » – « Vous ne le voyez pas, parce que vous ne savez pas que toute ma foi m’a été révélée et vient du Ciel. J’aurais été bien incapable d’inventer tout cela. » – « Vous ne l’avez pas inventé vous-mêmes, c’est juste, mais vous imitez vos ancêtres, c’est tout. »
– « Non, me dit-elle, c’est plus qu’une imitation. »
Je lui expliquai calmement que, par exemple, sa croyance en la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie opère cette présence dans la mesure de la force qui anime sa foi, mais que pour celui qui ne croit rien, il n’y a rien. Elle ne voulait pas l’admettre, et pourtant il était important pour moi que, à l’image des protestants, elle s’embarquât sur cette galère. Le but réel que je lui cachais soigneusement était la suppression de toute foi, mais il fallait la faire passer par ce stade intermédiaire.
Je lui démontrai par les évangiles et, notamment, par les guérisons opérées par le Christ, où la foi des malades est toujours exigée, que cette dite foi est, en réalité, celle qui opère la guérison.
Mais elle était têtue comme un enfant, prétendant que le Christ avait voulu réveiller la foi comme étant un plus grand bienfait que la guérison corporelle.
Je lui expliquai que rien de ce qui est religieux n’existe en dehors de la foi créatrice et que c’est pourquoi il était absurde de baptiser les bébés, qu’il fallait attendre la majorité et que même le baptême pourrait être un jour supprimé comme une action magique d’un passé un peu puéril.
Elle se mit à pleurer et me dit que nous devrions cesser de nous voir pendant un certain temps. J’étais tout à fait d’accord, car j’avais justement beaucoup à faire et je pensais, en plus, qu’une séparation pourrait la rendre plus docile, car les femmes supportent moins bien les chagrins que nous. Quant à moi, je tenais trop à elle et j’étais fier de prouver ma force.
J’obtins la permission d’assister à deux cours universitaires, ce qui me permit de naviguer dans ce milieu, sans dévoiler ma position de séminariste. Le directeur m’avait autorisé à m’habiller en civil chaque fois que je le jugerais nécessaire. Il paraissait même admettre que la soutane devenait un anachronisme. Nous nous comprenions à demi-mot, sachant bien que le prêtre moderne serait tout différent de ses prédécesseurs. C’est une banalité que de répéter qu’il faut savoir marcher avec son temps. Pour ma part, j’estimais alors que l’Église était fort retardataire. Il me paraissait facile de prouver que depuis le Concile de Trente, elle n’avait pour ainsi dire pas bougé ; et donc se devait de rattraper le temps perdu.
Il me fallut aussi remplacer Achille, car je ne pouvais pas aller moi-même à la boîte postale et je ne pouvais pas non plus coder ma correspondance, je n’en avais pas le temps. Il me fallait un homme sûr et, en pleine guerre, c’était difficile à trouver.
Enfin, je reçus l’ordre de me mettre en relations avec un professeur de l’Université, ce qui au premier abord me parut tout à fait pratique. Mais quand je vis le bonhomme, je déchantai.
J’ai un flair certain pour juger les gens. Celui-là puait la traîtrise. Je lui donnai cependant la clef de la boite postale, mais résolus d’en référer en haut lieu avant de lui donner mes travaux à coder. Malheureusement, je reçus l’ordre d’avoir à obéir sans discuter.
Je me tourmentai beaucoup et pris la résolution de chercher un deuxième correspondant auquel je confierais exactement le même travail ; ainsi, il serait facile, du moins après la guerre, de faire des comparaisons.
J’en vins presque à espérer que mes soupçons fussent fondés, d’abord pour le plaisir d’avoir raison, mais surtout pour comparer la valeur de mes différents correspondants mis en présence de deux textes différents, sur le même sujet et portant la signature E.S.X. 1 025. Le X signifiait seulement que j’étais un élève séminariste actif. Si le professeur était un traître, il se devait de n’apporter que des modifications prudentes à mes textes ; à moins qu’il ne croie pouvoir profiter de la guerre pour anéantir tout mon travail.
Quoi qu’il en soit, j’avais eu raison de prendre un deuxième correspondant.
Je le découvris parmi les étudiants pauvres. Il était un peu exalté, mais son zèle me convenait. Je lui laissai entendre qu’il pourrait espérer un bel avenir parmi nous. Ce n’est pas l’habitude du Parti d’exciter l’égoïsme et l’avarisme de l’homme, mais je me devais de faire naître en ce jeune homme un calme prudent.
Quand j’eus mis tout cela bien au point, j’eus fortement envie de revoir les cheveux noirs.
Je pus constater que je tenais beaucoup plus à elle que je ne l’avais cru jusqu’alors. J’y tenais trop. Cela ne convenait pas à un communiste militant, encore moins à un futur grand patron du Parti. J’avais déjà accompli trois ans de séminaire, il n’en restait donc plus que trois autres. Ensuite, tout le monde était d’accord pour m’envoyer à Rome poursuivre des études supérieures. Puis, je deviendrais moi-même professeur, je pense. Probablement professeur de séminaire. Ce sont les postes-clefs de l’Église, ceux auxquels il est possible de former patiemment un clergé tout nouveau et qui n’aura de commun avec l’ancien que le nom.
Ma vie était donc toute tracée et je n’en désirais pas d’autre. Cependant, je devais m’avouer à moi-même qu’un grain de sable aussi puissant qu’un rocher s’était introduit dans l’engrenage. Si encore j’avais eu un caractère léger, j’aurais pu considérer les cheveux noirs comme une passade hygiénique. Mais je n’étais même pas son amant. Je ne voulais pas l’être, tant qu’elle ne partagerait pas mes plus chères convictions. Pour moi, l’union de l’homme et de la femme est totale ou n’est pas. L’union des cœurs et des esprits permet seule l’union des corps, sinon c’est de la prostitution.
Si les cheveux noirs avaient voulu adopter mes doctrines, j’aurais pu leur demander de me suivre à Rome et partout où je serais envoyé. Oui, j’aurais pu le faire...
Mais comment arracher de son esprit les puérilités qui l’encombraient ?
Je me trouvai dans la position absurde suivante, être l’homme qui s’employait à détruire toutes les religions du globe et n’arrivait pas à convaincre une petite jeune fille de vingt ans !
Je savais que j’aurais dû la quitter, je n’ignorais pas que l’oncle, dans sa Russie en guerre, ne serait pas content s’il savait tout cela. Et je pensais aussi que je n’étais pas surveillé aussi attentivement qu’en temps de paix.
Mais le comble de la douleur était qu’il y eût quelque chose que MOI je n’avais pas le courage de faire.
CHAPITRE XIII
OÙ LE SYMBOLE DES APÔTRES ET LES SEPT SACREMENTS SONT SÉVÈREMENT CENSURÉS
En travaillant à mon nouveau catéchisme qui pourra s’appeler : Catéchisme de la religion de l’homme, je vis qu’il serait sage d’en préparer une série, en dosant chaque fois les modifications et restrictions afin d’habituer les esprits.
La première édition devait modestement supprimer deux points du Symbole des Apôtres. D’abord remplacer le mot « catholique » par « universel » qui veut du reste dire la même chose. Mais il est très important que ce mot de « catholique » ne vienne plus froisser les oreilles protestantes et ne vienne plus non plus inciter les fidèles de rite romain à se prendre pour des super-chrétiens.
Ensuite, supprimer carrément le culte des saints. Les saints doivent disparaître avant Dieu, encore qu’il soit peut-être plus facile de tuer Dieu que ses saints. Pour le moment, je m’en tiens à ceci : supprimer d’abord tous ceux qui ne sont pas sérieusement prouvés ainsi que tous ceux qui n’ont pas eu de réel succès. Supprimer aussi tous ceux qui ont aidé à lutter contre la réforme, car ce n’est pas une référence à l’époque actuelle, où l’unité tourmente tous les cœurs.
Plus tard, il sera même particulièrement astucieux de réclamer discrètement avec beaucoup d’onction et quelques larmes de crocodile, la réhabilitation, puis la béatification et même la canonisation des plus grands hérésiarques, particulièrement de ceux qui ont affiché une haine brûlante, dévorante et explosive pour l’Église de Rome. Il faudra d’abord lancer quelques ballons d’essai, avec Luther, par exemple, et si les catholiques ne réagissent pas, je veux dire, ne s’indignent pas, cette face de nos activités jouera son petit solo, avec prudence et modestie, à intervalles réguliers, puis de plus en plus rapprochés.
Supprimer ensuite le jugement, le ciel, le purgatoire et l’enfer. Cela est des plus facile. Beaucoup sont tout disposés à croire que la bonté de Dieu surpasse tout crime. Il n’y a donc qu’à insister sur cette bonté. Du reste, un Dieu dont on n’a plus peur deviendra vite un Dieu auquel on ne pense plus. Ce qu’il fallait obtenir.
Ensuite, on peut garder les dix Commandements de Dieu, mais supprimer les six Commandements de l’Église. Ils sont ridicules... ridicules...
Je me permets d’interrompre ici les mémoires de Michael parce que j’ai trop envie de parler. Je ne sais pas ce que l’éditeur en pensera. Peut-être prendra –t-il son gros crayon rouge et dira-t-il, en barrant mes « impertinentes » réflexions : « Cette femme sans talent s’imagine-t-elle que je vais la laisser mettre son grain de poivre au beau milieu d’un texte qui ne lui appartient pas ? » ... Voilà ce qui se passera peut-être et nul autre que moi n’en aura connaissance.
Mais si le crayon rouge n’a pas encore sévi, je dois dire que je me sens responsable de cette publication et que les six Commandements de l’Église qui nous ont abandonnés, sous prétexte de nous laisser la noble liberté de nous sanctifier selon nos goûts, ont eux aussi une lourde responsabilité, si tant est qu’il soit permis de s’exprimer ainsi.
Je n’aime pas me plaindre, je n’aime pas ceux qui se contentent de gémir et je n’aime pas non plus ceux qui ont une âme d’esclave (enfin, je veux seulement dire que je ne me sens pas attirée par ces catégories de gens) mais les six Commandements de l’Église étaient des amis. Croire qu’on leur obéissait, en imaginant qu’on y gagnerait ainsi automatiquement une éternité de félicités surnaturelles, est tout de même presque insultant.
Mais moi, qui ne suis qu’une petite infirmière, habituée à se taire, je voudrais quand même dire que les ecclésiastiques de ce siècle semblent chercher à se rendre antipathiques. Pourquoi ?.. C’est ce que je ne saurais deviner. Mais il est un fait, universellement connu, et c’est qu’ils cherchent à nous imposer toutes leurs inventions, comme si elles procédaient d’un amour purement surnaturel pour leurs très chers et bien-aimés fidèles. Ainsi, nous aurions ressenti nous, les fidèles, nous, les moutons, de secrètes douleurs en voyant nos chers prêtres exercer leur ministère au pied d’un autel assez élevé et donc éloigné de nous, avec cette circonstance aggravante (pour nous) qu’ils nous tournaient le dos. C’est curieux, mais ils n’ont jamais deviné que nous savions parfaitement bien qu’ils parlaient à Dieu, en notre nom, bien sûr. Non, ils se sont attendris, (car il n’y a pas que les femmes qui soient roublardes) ils se sont attendris sur notre isolement et nos chagrins secrets et ils sont d’abord descendus, à hauteur de la table de communion, et ce uniquement les jours de très grande fête. Le résultat fut que, ces jours-là, seuls les quatre premiers rangs voyaient quelque chose. Et c’est alors, mais alors seulement, que tous les autres rangs se sentirent délaissés.
Puis, ils installèrent une simple table au bas des marches, et l’ancien autel fit rapidement figure de vestige d’un passé puéril et trop ostentatoire qu’il est nécessaire de démolir, en ce siècle où l’homme est tout près d’être déifié.
Le Saint-Sacrement ne pouvant être conservé sur une table, ils le reléguèrent généralement dans un petit trou rapidement creusé dans un des murs de côté.