Célibat sacerdotal : « CE QUE LES APOTRES ONT ENSEIGNE » 1

Publié le par monSeigneur et monDieu

Du blog : Depuis près d’un mois les ennemis de l’Église Catholique, les gens du monde et un trop grand nombre de ceux qui prétendent vouloir son bien ont décidé de lui montrer par où Elle a péché.

Certains voient la principale cause de son « dépassement » dans son  « obstination » à vouloir décréter un « célibat » du clergé sans aucun fondement spirituel, alors que Dieu a crée les êtres humains hommes et femmes….

L’étude proposée est assez exhaustive et longue, mais dans le souci de ne pas en réduire sa portée, nous n’avons pas voulu la tronquer afin de permettre à un grand nombre d’être objectifs et plus éclairés dans leur propos.

 

«  CE QUE LES APOTRES ONT ENSEIGNE »  ( II )

 

Aux Origines du Célibat sacerdotal

Par le Père Cochini, SJ

 

II- SYNTHESE HISTORIQUE

Remarques préliminaires

La partie analytique d'une étude sur le célibat des clercs aux origines de l'Eglise comporte, comme on vient de le voir, un inventaire critique et aussi complet que possible des documents qui, d'une manière ou d'une autre, touchent à la question. Les limites de cet article imposent un choix. Mais les textes retenus ici sont les pièces principales du dossier, et permettent de vérifier l'application du principe fondamental de la recherche historique énoncé plus haut : tirer des textes tout ce qu'ils contiennent, et ne rien ajouter qu'ils ne contiennent pas. C'est ainsi qu'on ne peut faire dire au 33ème canon du concile d'Elvire plus qu'il ne contient en affirmant indûment qu'il marque un tournant dans la législation sur la continence des clercs ; et c'est respecter le contenu spécifique des décrétales de Sirice et du concile de Carthage que de prendre en compte la revendication à l'apostolicité qui s'y affirme. C'est également être fidèle aux déclarations du concile Quinisexte de 691 que d'en souligner le lien avec la tradition apostolique par l'intermédiaire des conciles africains, et d'en noter objectivement l'originalité par rapport à la discipline antérieure. Ces quelques problèmes, et bien d'autres encore, — tels l'élimination de pièces suspectes comme la prétendue intervention de Paphnuce au concile de Nicée, ou la détermination du sens authentique des textes par le recours à la philologie ou à l'étude comparative —, attestent la nécessité d'une analyse rigoureuse.

L'historien, comme l'architecte, rassemble ses matériaux en fonction d'un tout. Mais tandis que celui-ci ne perd jamais de vue le plan qu'il a conçu, et procède librement au tri de ce qui est nécessaire à la construction, il n'en va pas tout à fait de même pour l'historien. Le plan d'ensemble n'est pas chez lui un a priori, mais se dégage lentement dans son esprit au fur et à mesure de la découverte et de l'analyse des données que lui fournit l'histoire. Parce qu'il a déjà appartenu à un ensemble, aujourd'hui à reconstituer, le document est par lui-même essentiellement « relatif-à », et c'est la prise de conscience de cette relation qui met le chercheur sur la voie de la synthèse. Ce caractère relationnel du document n'est pas toujours discernable au premier abord, et il nécessite dans tous les cas une vérification ; ce n'est en définitive qu'après un long travail de rapprochement et de comparaison des textes entre eux, et d'ajustement des pièces les unes par rapport aux autres et avec le contexte, que le plan confusément entrevu dans un premier temps de la recherche prend les contours plus précis qui annoncent la synthèse. S'il est vrai que l'histoire est inséparable de l'historien, c'est par ce va-et-vient constant entre le réel qui peu à peu se révèle et l'hypothèse critique d'elle-même qui, à chaque pas, interroge, se reprend et n'a de cesse qu'elle ait rétabli entre tous les témoignages le réseau de relations qui donne sens. La part de subjectivité inhérente à la démarche n'empêche pas une soumission totale à la vérité de cette histoire qui a un jour existé en dehors de l'esprit qui la cherche, elle la favorise même, par l'inquiétude qu'elle entretient et l'insatisfaction foncière jusqu'à l'étape finale. Plus qu'un architecte, pourrait-on dire, l'historien des premiers siècles de l'Eglise est un archéologue. Les fouilles qu'il met au jour et qu'il voit s'organiser sous ses yeux, grâce certes à son travail personnel, sont désormais là, détachées de lui, à la disposition du public qui peut en juger et imaginer pour son propre compte la reconstruction qu'elles suggèrent. Au terme de notre partie analytique, nous pouvons déjà avoir une certaine idée de la façon dont les divers documents étudiés s'agencent mutuellement, et la reconstitution d'une histoire de la continence parfaite des clercs ayant son point de départ au temps des apôtres apparaît déjà comme l'aboutissement normal d'un faisceau de témoignages convergents. 

La tradition orale 

Il faut toutefois aller plus loin, et s'efforcer d'acquérir encore plus de certitude. La rareté des documents aux trois premiers siècles de l'Eglise indique qu'il serait vain de partir à la recherche de textes jusqu'ici introuvables prouvant sans conteste possible que la discipline de la continence parfaite remonte bien aux Apôtres, comme le veulent Sirice et les Africains du 4ème siècle. Partant de cette constatation, plusieurs refusent de se prononcer, mais sans toujours se rendre compte que ce refus par lui-même implique une prise de position, puisqu'il équivaut à rejeter dans l'inconnaissable une période capitale de l'histoire de l'Eglise et du célibat et à en inférer que les choses ont seulement commencé d'exister à partir du moment où elles ont laissé des traces écrites dans les documents. Or, il faut se souvenir ici d'un point capital dans le développement du christianisme : à côté de la tradition écrite, qui a fixé dans des livres la prédication des Apôtres, et étroitement liée à elle, existe aussi une tradition orale. Transmise par les Apôtres à leurs successeurs, confiée ensuite par ceux-ci à des hommes également sûrs, et prenant corps parfois dans des institutions qui en restent comme la mémoire permanente, cette tradition non écrite est parvenue jusqu'à nous et se fera entendre de la même manière jusqu'à la fin des temps. L'existence en est attestée par saint Paul dans deux de ses épîtres. Dans la deuxième aux Thessaloniciens, il recommande aux fidèles : « Frères, tenez bon, gardez fermement les traditions que vous avez apprises de nous, de vive voix ou par lettre » (2 Th 2, 15) ; et aux Chrétiens de Corinthe, il adresse ce compliment : « Je vous félicite de ce qu'en toutes choses vous vous souvenez de moi et gardez les traditions, telles que je vous les ai transmises » (1 Co 11, 2). Les écrivains patristiques font souvent référence à ces paroles de saint Paul, et tous expriment la même conviction : c'est demeurer dans l'ordre apostolique que de s'attacher aux traditions reçues « de vive voix. » (50)

 

Si le domaine des traditions non écrites est avant tout celui des vérités de foi, la part qui revient aux usages touchant la discipline et la vie liturgique dans ce dépôt apostolique transmis oralement reste considérable. On a pu aller jusqu'à dire que « l'idée de traditions non écrites paraît surtout être née d'une réflexion sur la discipline et le culte ecclésiastiques. » (51) Certaines de ces traditions ne connurent qu'une brève existence, mais d'autres se renforcèrent avec le temps, un phénomène que l'on observe en particulier pour les usages qui impliquent des positions doctrinales : le baptême des petits enfants, par exemple, lié au dogme du péché originel ; ou encore l'habitude de prier pour les défunts, qui comporte un enseignement implicite sur le purgatoire.

 

C'est à une tradition apostolique de ce type que nous renvoient les témoignages du 4ème siècle et de l'époque patristique dans son ensemble. En effet, les raisons invoquées pour justifier la discipline de la continence parfaite pour le clergé supérieur sont, outre la fidélité à la tradition, des considérations qui touchent à la doctrine : fonction d'intercession du ministère sacerdotal, rapport entre la continence et l'efficacité de la prière, supériorité de la virginité et de la continence sur le mariage. Sur ces divers points, la discipline byzantine qui se définit au concile in-Trullo de 691 est elle-même en parfait accord avec toute la pensée patristique (52).

 

Se demander, comme nous y invitent les Pères, si la discipline de la continence parfaite pour les évêques, prêtres et diacres n'est pas, à l'instar du baptême des petits enfants et de la prière pour les morts, une tradition non écrite d'origine apostolique est une question non seulement légitime mais qu'il n'est pas scientifique d'éluder. Il faut insister sur l'importance de ces traditions orales dans le développement organique de la vie de l'Eglise. En tenir compte n'est pas être infidèle à la méthode historique, comme le craignent certains pour qui seul le document écrit fait loi, mais c'est au contraire doter celle-ci de l'outil de recherche le plus approprié à son objet pour les premiers siècles du christianisme. Les sous-estimer, en revanche, c'est se priver d'un instrument de connaissance utile, — et peut-être unique —, grâce auquel on peut savoir ce qui a été vécu dans l'Eglise avant même d'être dit, et surtout écrit (53).

 

Le recours aux traditions non écrites pour l'élucidation d'un point d'histoire de l'Eglise peut donc être reconnu comme une exigence propre de la méthode historique. Si l'historien, pour ce faire, doit se doubler d'un théologien, ce n'est pas au détriment de la valeur de la méthode, mais c'est la condition même d'une spécificité requise par l'objet de la recherche. 

Le principe augustinien sur les traditions apostoliques 

Il est temps de faire un pas de plus, et d'essayer de discerner à quelles conditions il est possible de déterminer si une tradition est vraiment d'origine apostolique. Nul n'a mieux répondu à cette question que saint Augustin, lorsque, dans sa controverse avec les Donatistes, il énonça un principe devenu fondamental en théologie historique :

« Ce qui est gardé par toute l'Eglise et a toujours été maintenu, sans avoir été établi par les conciles, est regardé à très juste titre comme n'ayant pu être transmis que par l'autorité apostolique » (54)

 

La valeur de ce principe augustinien tient essentiellement au fait que la fidélité envers la tradition des origines constitue la règle de vie ecclésiale des premiers siècles. La tendance générale de l'époque patristique est de garder, de conserver le dépôt transmis, et non d'innover ; à telle enseigne que les hérétiques eux-mêmes cherchaient à couvrir leurs nouveautés du manteau des Apôtres. En formulant son principe, l'évêque d'Hippone reconnaît que cette tendance garantit la possibilité de remonter à la source apostolique, tout en précisant les conditions nécessaires pour éliminer les risques d'erreur. Celles-ci sont au nombre de deux : il faut qu'un point de doctrine ou de discipline ait été « gardé par toute l'Eglise », et qu'il « ait toujours été maintenu. »

 

La partie synthétique de notre étude consiste ainsi à vérifier dans quelle mesure la discipline de la continence parfaite des clercs attestée par les documents à partir du 4ème siècle peut être dite avoir été « gardée par toute l'Eglise » et si oui ou non elle a été « toujours maintenue. »


Une discipline « gardée par toute l'Eglise »

 

Les principales conditions à remplir pour qu'un point de doctrine ou de discipline puisse être considéré comme « gardé par toute l'Eglise » à une époque donnée de son histoire sont, à mon avis, les suivantes :

 

1) On se demandera d'abord si, pour la période envisagée, un grand nombre d'hommes jouissant d'une grande autorité morale et intellectuelle dans l'Eglise partagent sur le point en question les mêmes sentiments. Pour les premiers siècles, il s'agit des Pères les plus influents, des docteurs les plus célèbres, des évêques les plus en vue, à qui leurs contemporains comme la postérité reconnaissent une valeur exceptionnelle. Il n'est pas nécessaire de recueillir la totalité de leurs témoignages ; on peut se contenter de l'accord représenté par ceux qui ont un rôle de premier plan, comme étant les porte-paroles de beaucoup d'autres.

2) On se demandera également si le point en question est gardé par les Eglises apostoliques, c'est-à-dire avant tout par les Eglises qui ont été personnellement fondées par les Apôtres (Rome, Alexandrie, Antioche, Ephèse...), ou encore par les Eglises qui, sans avoir été fondées par les Apôtres, proviennent des premières par voie de fondation directe ou manifestent une « consanguinité de doctrine » qui les maintient en communion avec elles. C'est à leur sujet que Bellarmin écrit : « On doit croire, sans l'ombre d'un doute, qu'une chose vient d'une tradition apostolique si elle est tenue pour telle dans les Eglises où existe une succession sans faille et continue depuis les Apôtres. » (55)

Sur des points importants de doctrine ou de discipline, il est en effet difficilement pensable que des divergences sensibles se produisent entre les Eglises apostoliques, aussi longtemps qu'elles conservent entre elles le lien de l'unité et la communion avec Rome, comme ce fut le cas pendant les premiers siècles. Certes, cette communion s'accommode fort bien, s'enrichit même, d'une diversité d'usages. Mais il n'en va pas de même pour les questions importantes, comme c'est le cas pour la discipline de la continence parfaite des clercs, considérée à l'époque comme engageant des prises de position scripturaires et doctrinales. L'accord des Eglises apostoliques est donc essentiel pour vérifier les titres de cette discipline à l’apostolicité.

3) On se demandera enfin si le point en question est gardé par l'ensemble des évêques, c'est-à-dire par ceux qui, dans l'Eglise, ont été établis successeurs des Apôtres et détiennent, par la grâce de l'Esprit comme la bouture de la semence apostolique (56). L'unanimité des évêques sur une question de doctrine ou de discipline se constate, dans les synodes et assemblées épiscopales qui se réunissent pour en traiter et où sont prises en commun les décisions jugées conformes à la tradition. Elles se vérifient tout spécialement dans les conciles généraux, ou œcuméniques, lesquels « possèdent le caractère d'infaillibilité dans les décisions dogmatiques et de souveraineté sans appel dans les décisions disciplinaires. » (57) Ceci est d'autant plus vrai que le facteur essentiel qui confère au collège des évêques leur autorité est le lien d'unité avec le Pontife romain. Successeur de Pierre, chef de l'Eglise fondée « par les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul » (saint Irénée), l'évêque de Rome est reconnu pour être le gardien par excellence de la tradition apostolique. Non seulement « il n'y a jamais de Concile œcuménique qui ne soit comme tel confirmé, ou au moins reçu par le successeur de Pierre » (58), mais il n'y a pas de question importante intéressant la vie des Eglises qui puisse être tranchée sans qu'on ait pris son avis, comme le constatait l'historien byzantin Socrate au 5ème siècle. L'histoire des nombreux recours au « Siège apostolique », — titre qui, sans autre détermination, désigna très tôt la ville où Pierre avait siégé —, tant de la part des Orientaux que des Occidentaux, aux premiers siècles de l'Eglise, est une illustration de cette prééminence reconnue à l'évêque de Rome et du rôle unique qu'il exerça pour identifier les vraies traditions. C'est donc une valeur particulière qu'il convient d'accorder aux déclarations des évêques collégialement unis à l'évêque de Rome, ainsi qu'à celles du Siège apostolique lui-même, quand elles se réclament d'une tradition remontant aux Apôtres.

 

En se reportant à la partie analytique de cette étude, on pourra constater que ces conditions se trouvent amplement réalisées ; il est possible de répondre par l'affirmative à la question de savoir si la discipline de la continence parfaite des clercs était « gardée par toute l'Eglise » au 4ème siècle. Nous avons d'une part le témoignage d'hommes jouissant d'une grande autorité morale, comme Eusèbe de Césarée, saint Cyrille de Jérusalem, saint Ephrem, saint Epiphane, saint Ambroise, l'Ambrosiaster, saint Jérôme, et bien entendu le pape Sirice (59). Tous sont d'accord pour voir dans la discipline en question une tradition d'origine apostolique, et aucune voix influente ne leur inflige un démenti (60).

Pour ce qui est des Eglises apostoliques, le témoignage de l'Eglise de Rome est garanti par les décrétales de Sirice ; au dire de saint Irénée, nous pourrions nous en tenir à elle « car avec cette Eglise (de Rome), en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles de partout, — elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des Apôtres. » (61) Mais nous avons aussi le témoignage de saint Jérôme, qu'il n'y a pas lieu de récuser, affirmant à Bethléem que « les Eglises d'Orient, d'Egypte et du Siège apostolique » tiennent fermement la discipline de la continence parfaite pour le clergé. Nous avons encore le témoignage de certaines Eglises, comme l'Eglise d'Afrique, l'Eglise d'Espagne et l'Eglise des Gaules qui, sans avoir été fondées par les Apôtres (sauf peut-être celle d'Espagne), n'en sont pas moins apostoliques au sens défini plus haut, par filiation directe et par « consanguinité de doctrine ». Et enfin il existe, comme je l'ai fait remarquer à propos de la dynastie grégoride, une forte présomption pour penser que l'Eglise d'Arménie, au 4ème siècle, est elle aussi un témoin de l'existence et de l'antiquité de la même discipline pour la préfecture d'Orient. En sens inverse, il n'existe aucune Eglise apostolique dont le témoignage pourrait être invoqué comme attestant une discipline différente, c'est-à-dire la reconnaissance du droit à user du mariage pour les évêques, prêtres et diacres mariés avant l’ordination.

La vérification, en dernier lieu, à partir des décisions conciliaires, apporte une troisième et importante confirmation : le concile d'Elvire, loin de marquer un « tournant », révèle au contraire l'existence d'une discipline antérieure ; le concile de Carthage de 390, pour sa part, montre que l'épiscopat africain, en communion avec Rome, se porte témoin de l'origine apostolique de la tradition de la continence parfaite pour le clergé ; quant au premier concile œcuménique de Nicée, l'interprétation constante de son 3ème canon par les papes et les conciles ultérieurs indique avec assez de certitude, comme nous l'avons vu, qu'en autorisant la cohabitation des clercs avec « les femmes au-dessus de tout soupçon », le concile désignait par là les épouses ayant fait profession de continence parfaite pu celles qui avaient notoirement cessé la vie conjugale avec leur époux ordonné, et atteste ainsi l'ancienneté de la discipline. En sens inverse, il n'est aucun concile particulier de cette période dont on puisse dire qu'il témoigne sûrement de l'existence d'une tradition différente (62).

Publié dans Religion

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article