E.S. 1025 ou les mémoires d'un Anti-Apôtre - MARIE CARRÉ - 5

Publié le par monSeigneur et monDieu

CHAPITRE VIII

 

OÙ LAMBITIEUX QUI SE CROYAIT PLUS FORT QUE TOUT RENCONTRE LES CHEVEUX NOIRS

ET SEFFRAIE DE SA PREMIÈRE FAIBLESSE

 

Au bout de deux ans de séminaire, je me demandais sérieusement si j’allais pouvoir continuer. La volonté qui s’exerce solitaire n’est pas toujours suffisante, et j’étais bien jeune pour me nourrir de ma seule haine.

 

Cependant, je voyais cette haine augmenter ; et, d’abord réservée à Dieu, elle s’étendait maintenant à tout mon entourage. S’ils avaient pu deviner à quel point je les détestais ! Aujourd’hui encore, je m’admire d’avoir pu le supporter.

 

Bien sûr, je suis et reste un solitaire. Si la chaleur communautaire ne m’est pas indispensable, par contre, des petites oasis de chaleur humaine manquaient à ma jeunesse.

 

En fait, je n’avais que mon professeur de chant, ce Français que j’allais voir tous les samedis. En certains points, nous nous comprenions à demi-mot, mais il ne connut jamais la réalité de ma mission dans toute son ampleur. Le merveilleux était que, chez lui, je pouvais vraiment me détendre. Sans lui, je n’aurais peut-être pas eu la force de résister. Heureusement que ceci ne sera jamais publié car ce n’est pas un bon exemple pour mes camarades.

 

J’avais aussi reçu l’ordre d’accepter certaines invitations mondaines. Elles venaient sans que je sache pourquoi ni comment. J’étais donc obligé d’obéir. Je n’osais jamais écrire à l’oncle pour lui demander l’utilité de ces occupations mortellement frivoles. Du reste, il connaissait mon dégoût pour ce genre de choses et m’avait déjà dit qu’il serait bon pour moi de connaître les usages du monde. Admettons, mais je n’y fis jamais la moindre découverte utile.

 

Un soir, que j’étais à une grande réception particulièrement brillante, mon regard s’arrêta sur un profil de jeune fille et tout ce qui l’entourait s’évanouit, y compris mes  propres sens. Elle avait un long cou, plus penché que la tour de Pise, un très gros chignon noir que j’aurais voulu défaire et un profil à la fois puéril et volontaire.

 

Je la regardais, le souffle coupé. Nous étions comme seuls tous les deux, bien qu’elle ne me vît pas. Je lui criais intérieurement de tourner très légèrement la tête afin que je puisse lui voler son regard, mais elle n’en fit rien. Je ne sais pas combien de temps dura mon extase, mais je fus ramené sur terre par un jeune inconnu.

 

Il avait tout compris, peut-être mieux que moi-même. Il avait du cœur puisqu’il me dit : « Voulez-vous que je vous présente à Mademoiselle X... ? ». Il me connaissait sous mon nom, mais me prenait pour un étudiant d’Université. Dans toutes ces mondanités, personne ne pouvait me prendre pour un séminariste.

 

Un peu plus tard, cet obligeant jeune homme me présenta aux cheveux noirs (je ne lui donnerai jamais d’autre nom). J’avais retrouvé mon calme, grâce à de discrets exercices de respiration. Cependant, j’étais un homme différent, totalement différent. Un centième

de seconde avait suffi.

 

Pendant cette soirée, je ne cherchais pas à comprendre ce qui m’arrivait. J’étais bien trop occupé à me délecter de ces sentiments nouveaux.

 

Je parlai quelques instants avec les cheveux noirs, instants pendant lesquels je ne pus la manger toute entière. Car ce qui dominait en moi, c’était le désir de prendre cette jeune fille là pour moi tout seul, et de la cacher dans une petite maison, loin de tout, une petite

maison où elle ferait profession de m’attendre.

 

Elle avait d’immenses yeux noirs qui vous regardaient avec un sérieux presque gênant. Et quand elle fut invitée à danser, je dus serrer mes mains derrière mon dos pour ne pas tuer celui qui l’emportait dans ses bras. La danse est une invention diabolique. Je ne comprends pas comment un homme peut supporter que son épouse danse avec un autre.

 

Je la regardais valser, sa robe était merveilleuse mais mes yeux étaient comme hypnotisés par son cou penché qui semblait se présenter docilement à la hache du bourreau. Je ne sais pas pourquoi cette jeune fille me paraissait destinée à mourir de mort violente. Ce sentiment augmentait la fureur avec laquelle j’aurais voulu l’arracher à tout ce monde-là. Que faisait-elle au milieu de tous ces imbéciles ? Et que faisait-elle dans la vie ?

 

Il fallait que j’aboutisse à ceci, qu’elle ne veuille rien faire d’autre que m’attendre. N’importe quel moyen serait bon pour atteindre ce but. Elle m’appartenait, c’est tout.

 

Mais elle partit avec un couple âgé que je ne connaissais pas. Je devenais enragé. Comment faire pour la revoir ?... Elle ne prenait pas garde à moi, sauf peut-être à la dernière seconde où son regard s’arrêta sur le mien. Que voulait-il dire ce regard-là ? Débrouillez-vous pour me revoir ?... peut-être... en tout cas, je ne me préoccupais pas outre mesure de ce qu’elle pouvait penser. J’avais pris la décision de diriger ses pensées, car je considérais qu’elle m’appartenait pour toujours. Qu’elle ne fût pas d’accord n’aurait été qu’un défi pittoresque.

 

Je savais son nom et rien d’autre. Je chargeai mon professeur de chant de la retrouver. Cette histoire l’amusait prodigieusement. Il me disait même : « Ainsi, vous allez vous humaniser ». Je ne comprenais pas ce qu’il pouvait trouver d’inhumain en moi et en fus même un peu vexé. Il ne voulut pas s’expliquer.

 

Ses démarches furent longues et je dus me calmer en travaillant avec un zèle décuplé.

 

C’est pendant ces journées là que je lançai sur le marché (pourrait-on presque dire) le programme qui permettrait aux catholiques d’être acceptés par les protestants. Jusqu’à ce jour, les catholiques avaient trop espéré un retour du protestantisme dans le sein de la maison mère. Il était temps qu’ils perdent leur arrogance. La charité leur en faisait un devoir. Quand la charité est en jeu, je prétendais, en riant sous cape, que rien de mal ne peut advenir.

 

Je prophétisai donc avec assurance, afin que cela soit répété sur ce ton-là, la suppression du latin, des ornements sacerdotaux, des statuts et images, des cierges, des prie-Dieu (afin qu’ils ne puissent plus s’agenouiller). Et je fis faire une campagne très active pour la suppression du signe de croix. Ce signe n’est pratiqué que dans les églises romaines et grecques. Il est temps qu’ils se rendent compte qu’ils offensent les autres qui ont pourtant autant de qualités et de sainteté qu’eux. Ce signe, ainsi que les génuflexions, sont autant d’habitudes ridicules.

 

Je prophétisai également, et nous n’étions qu’en 1940, l’abandon des autels, remplacés par une table absolument nue, et l’abandon de tous les crucifix afin que le Christ soit considéré comme un homme et non comme un Dieu.

 

J’insistais pour que la Messe ne soit qu’un repas communautaire où tous seraient invités, même les incroyants. Et j’arrivai à cette prophétie : le baptême, pour l’homme moderne, est devenu une cérémonie ridiculement magique. Qu’il soit par immersion ou non, le baptême doit être abandonné en faveur d’une religion adulte.

 

Je cherchais le moyen de supprimer le Pape, mais je n’en trouvai jamais la possibilité. Tant qu’on ne dirait pas que le jeu de mots du Christ : « Tu es Pierre et sur cette pierre, Je bâtirai Mon Église », fut inventé par un Romain zélé (et du reste, comment le prouver, il ne suffisait pas que ce fût possible... ) un Pape serait toujours au pouvoir.

 

Je me consolais en espérant que nous arriverions bien à le rendre antipathique.

 

L’important est de crier contre lui chaque fois qu’il fait du nouveau et même quand il ne fait que relancer l’ancien trop dur à supporter.

 

En plus, tout ce qui est permis chez les protestants, même si c’est dans une seule secte, doit être autorisé chez les catholiques. Ainsi le remariage des divorcés, la polygamie, la contraception et l’euthanasie.

 

L’Église universelle devant accueillir toutes les religions et même les philosophes incroyants, il était urgent que les églises chrétiennes renoncent à leur décorum. J’invitais donc à un immense balayage.

 

Tout ce qui excitait le cœur et l’esprit à rendre un culte à un Dieu invisible devait être impitoyablement supprimé. Il ne faut pas croire que j’ignorais, comme certains que je ne nommerai pas, la puissance des gestes et de tout ce qui parle aux sens.

 

Un esprit un petit peu réfléchi aurait vu que je supprimais tout ce qui est aimable dans une religion par ailleurs assez sévère. leur laisser la sévérité était une assez belle astuce.

 

Je glisserais en secret que ce Dieu cruel pourrait bien être d’invention humaine. Un Dieu qui enverrait Son Fils unique Se faire crucifier !!!

 

Mais je devais faire attention à ce que ma haine ne transperce pas dans mes écrits. Il fallait qu’elle gagnât en douceur et comme à regret.

 

Comme je me grisais de ces ordres et prophéties, mon professeur de chant me fit appeler au téléphone. Il avait trouvé et m’invitait pour le soir même à un concert où je pourrais la revoir.

 

Heureusement que j’obtins facilement l’autorisation de sortir. J’avais une très belle voix et les gens d’église ont toujours ménagé les musiciens.

 

Je la revis..., encore plus belle que la première fois. Si belle, si belle,… comment ne pas devenir fou ? ."

 

Elle voulut bien accepter de venir prendre une tasse de thé le samedi suivant chez mon professeur de chant. Je prétendis habiter un centre universitaire.

 

Mon professeur de chant se prénommait Achille et me demanda, comme nous attendions ensemble les cheveux noirs, de l’appeler : oncle Achille. Je compris qu’il voulait me donner par là l’illusion d’avoir une famille. Je lui en fus assez peu reconnaissant, car son attitude me révéla qu’il espérait me voir songer sérieusement au mariage.

 

Comment pouvait-il avoir des pensées aussi absurdes ! ... C’est donc qu’il sentait mon absence de vocation sacerdotale, mais n’avait absolument pas deviné la puissance et le sérieux de ma vocation socialiste.

 

À la réflexion, je vis que cette incompréhension, signe de ma force de caractère et de la qualité de mon jeu, ne pouvait que faciliter mes desseins. Pour être un vrai grand homme, il est très avantageux de paraître moyen et même endormi, Ceux qui se pavanent devant les foules ne sont pas ceux qui tirent les vraies ficelles.

 

Mes « cheveux noirs » parurent se plaire chez l’oncle Achille. J’étalai tout ce que mon tempérament slave avait de plus charmeur. Personne ne m’avait appris ce jeu-là, mais je constatai qu’il est instinctif. Je dois dire que j’y eus un énorme mérite. La femme de mes rêves portait ce jour-là une robe bleue toute simple et n’avait qu’un seul bijou : une grande médaille de la Vierge, dite médaille miraculeuse.

 

Mes yeux revenaient tout le temps sur cet objet et s’y brûlaient, j’aurais voulu pouvoir le lui arracher et le jeter par la fenêtre.

 

CHAPITRE IX

 

OÙ UN ZÈLE ANTI-RELIGIEUX VOUDRAIT BIEN ENTRAÎNER LES CHEVEUX NOIRS

DANS SON SILLAGE

 

Je dus me rendre à l’évidence, j’étais tout simplement amoureux pour la première fois ; amoureux comme un pauvre type dont l’intelligence ne domine pas les instincts. Je ne vis qu’un remède : un zèle toujours plus grand pour la défense et l’avancement de la grande cause du prolétariat.

 

C’est à cette époque que je lançai ma grande campagne de dialogue biblique. Il s’agissait d’exciter les catholiques à une lecture assidue et réfléchie de la parole de Dieu, en insistant bien sur le libre examen pratiqué depuis quatre siècles par les protestants. Je montrais que cette liberté avait abouti à nous donner plusieurs générations d’êtres vraiment adultes et maîtres de leurs vies. Par ce moyen très pieux, j’excitais donc les catholiques à secouer le joug du papisme et les protestants à se faire les maîtres de cette génération nouvelle.

 

En donnant aux protestants cette position dominante je devais aussi les affaiblir, sans que leur orgueil leur laisse la liberté de le deviner. Cet affaiblissement viendrait tout naturellement de l’émulation entre les diverses sectes. Dans cet exercice, les catholiques ne pourraient pas jouer le rôle d’arbitres, car ils seraient uniquement préoccupés par le désir de se réformer eux-mêmes. Ce fut un jeu d’enfant de les persuader qu’ils devaient à la fois opérer un retour aux sources et une modernisation éclatante.

 

Je suggérai que le zèle pour nous donner, en toutes langues, de nouvelles traductions bibliques en style vraiment moderne ne devait pas s’endormir. Là aussi, je pus constater une vive émulation. Je ne parlai même pas de l’aspect financier du problème, mais le nombre des nouvelles traductions permet de constater que cet aspect n’a pas échappé à la vigilance des hommes d’Église.

 

La modernisation de la parole de Dieu permit souvent d’en atténuer l’intransigeance. Et ceci se faisait tout naturellement. Chaque fois qu’un mot paraissait d’un usage peu courant et risquait donc d’être incompris, on cherchait à le remplacer par un mot tout à fait simple... bien entendu toujours au détriment du sens profond. Comment oserais-je m’en plaindre ?

 

Ces nouvelles traductions facilitèrent en outre les dialogues bibliques sur lesquels je fondais de grands espoirs. Car ces dialogues devaient aboutir à renvoyer les hommes d’Église ailleurs, n’importe où, pour laisser aux laïcs la liberté de se montrer enfin adultes.

 

Je préconisai aussi des rencontres bibliques interconfessionnelles. C’était là mon vrai but, encore qu’il pourrait peut-être se dépasser par l’examen bienveillant du Coran et de quelques livres orientaux.

 

Pour oublier les cheveux noirs, je préparai moi-même plusieurs séances de dialogues bibliques en soulignant les divers aspects de certains problèmes clefs.

 

Un de mes dialogues préférés, concernait le Pape, car ce personnage est vraiment un obstacle pour moi. Quand je dis : « Ce personnage », je veux dire aussi les textes sur lesquels il s’appuie. Ces textes sont aussi gênants pour moi que pour les chrétiens séparés (comme ils disent).

 

Je suis très reconnaissant à celui qui a pensé que le verbe « prévaloir » était devenu incompréhensible à l’homme moderne et l’a remplacé par le verbe « pouvoir ». Au lieu de « les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle » (l’Église), il a donc écrit : « les portes de l’Enfer ne pourront rien contre elle ».

 

Cela facilite énormément mes réunions de dialogues bibliques, du moins dans les pays francophones. Chacun s’aperçoit rapidement que cette prophétie qui prétend que l’Enfer ne peut rien contre l’Église est absolument fausse, et chacun respire, car ainsi s’envole cette croyance séculaire en une divine protection qui, en définitive, soutiendrait toujours les efforts des catholiques (sous-entendu : jamais ceux des hérétiques !).

 

J’aime aussi beaucoup lancer mes dialogues dans le labyrinthe de l’Ancien Testament. La Genèse à elle toute seule peut suffire à rendre fou un honnête homme.

 

Plus je vieillis, plus je constate que seules la foi du charbonnier et la foi de l’enfant peuvent survivre en un monde où l’intelligence prime tout. Et même, je me crois autorisé à poser cette question : y a-t-il encore des charbonniers, et surtout : y a-t-il encore des enfants ? Il semble qu’aujourd’hui, à tout le moins dans la race blanche, l’enfance soit morte en naissant et soit remplacée par de petits adultes, assez inquiétants, je dois dire. Je ne sais pas si je dois m’en réjouir. Que la foi y perde est bien, mais ma foi à moi va-telle y gagner ? Plusieurs points d’interrogation...

 

Peu après ma troisième rencontre avec les cheveux noirs, la France, son pays, fut envahie par les soldats d’Hitler et sembla n’avoir opposé qu’une résistance fictive.

 

À cette occasion, j’écrivis une fort belle lettre à mon amie si fière en cherchant à la consoler.

 

Elle accepta de faire un tour à la campagne avec moi. Elle avait une voiture prêtée par son oncle. En effet, elle était ici en séjour chez un frère de son père, mais toute sa vraie famille était restée en France, justement en zone occupée.

 

Elle aurait voulu rentrer, réflexe bien humain et qui me ravissait. J’aimais cette fierté et ce besoin de se dépasser. Que j’aurais voulu en faire ma collaboratrice ! Cependant, je n’osais pas aborder le problème de la Foi, ni même simplement les problèmes politiques. La médaille qu’elle portait encore aujourd’hui, en cette quatrième rencontre, mettait un monde entre nous deux.

 

Comme nous prenions le thé dans un établissement charmant, qui paraissait réservé aux amoureux, un couple nous fit un petit signe d’amitié discret mais qui me remplit d’inquiétude. L’homme était le frère d’un de mes condisciples. J’avais été invité dans sa famille et il me connaissait bien. Comment aurait-il pu oublier que j’étais séminariste ? Il ne fallait pas l’espérer. La jeune fille qui l’accompagnait était une cousine des cheveux noirs.

 

J’étais furieux et mon amie le remarqua. Elle m’offrit de me présenter à son oncle et à sa tante afin que je puisse venir tout tranquillement et naturellement la voir chez elle, ou plutôt chez eux. J’avais envie de demander : à quel titre ? Fiancé ? Comment pourrais-je lui dire que je la voulais pour moi tout seul, mais ne l’épouserais jamais ? Non, j’étais rivé au célibat catholique afin de sauver la cause du prolétariat.

 

Si elle avait pu comprendre mon idéal, c’eût été merveilleux, mais je n’osais même pas effleurer le problème. Et pourtant, j’aurais pu alors aller la voir chez elle. Il aurait suffi qu’elle acceptât un rôle effacé.

 

Elle vit que je n’étais pas enthousiasmé à l’idée d’être présenté à sa famille et en prit ombrage. Ce ne fut pas une première dispute, mais un premier malentendu grave.

 

Je n’avais pas assez d’argent pour louer un appartement, ni même un studio. Le parti n’a jamais admis le gaspillage, car c’est un grave défaut bourgeois.

 

Ce jour-là, nous faillîmes nous séparer froidement. L’un et l’autre nous sentions que des forces inconnues se liguaient contre nous et notre amour naissant. Il n’était pas besoin de parler pour sentir tout cela.

 

En plus, je me demandais si elle n’était pas poussée uniquement comme tant d’autres jeunes filles, par le désir de se marier. Désir légitime évidemment, et que je ne lui reprocherais pas, mais, en l’occurrence, désir très funeste.

 

Je lui dis donc adieu avec une subtile froideur et sans avoir prévu la prochaine rencontre. Elle me répondit avec un petit tremblement, puis s’éloigna lentement. Je restai sans bouger, les yeux fixés sur ce cou blanc qui s’inclinait sous le poids de cheveux trop lourds et aussi de pensées trop tristes.

 

Comme j’étais toujours immobile, elle se retourna et me regarda. Une dizaine de mètres nous séparaient. Alors je vis cette merveille : elle revenait... très lentement, les yeux dans mes yeux, elle revenait, elle ME revenait...

 

Quand elle fut tout près de moi, elle leva lentement ses mains et les posa sur mes épaules. Elle continuait de me regarder et je ne bougeais toujours pas. Alors, elle continua son geste en approchant ses lèvres de mes lèvres.

 

C’était la première fois que j’embrassais une femme.

 

(à suivre)

Publié dans Témoignages

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